vendredi 27 avril 2007

L'interdépendance

Hier, en cherchant un sujet sans rapport aucun avec le B, je suis tombé sur ce site:
http://www.egards.qc.ca/, "revue de la résistance conservatrice"...
Il s'agit d'un site québécois dédié au néo-libéralisme. On y lit des perles du genre: "Notre résistance antiétatique s´inspire des principes traditionnels d’une pensée conservatrice (...) :

1. La croyance en un ordre transcendant (ou à un corps de lois naturelles) appelé à régir la société ainsi que la conscience.

2. Un attachement envers la variété luxuriante et le mystère de l´existence humaine et une horreur sacrée envers l´uniformité étriquée, les objectifs égalitaristes et utilitaristes de la plupart des systèmes radicaux.

3. La conviction qu´une société civilisée exige des ordres et des classes et le rejet de la notion absurde de "société sans classes".

4. La certitude que la liberté et la propriété sont étroitement liées, qu´avec l´abolition de la propriété privée, on se retrouverait dans l´antre du Léviathan.

5. La méfiance envers les sophistes, les calculateurs et les économistes qui désirent reconstruire la société sur des conceptions abstraites.

6. La prise de conscience que le changement peut ne pas être salutaire, qu´une innovation ou qu´une réforme précipitée provoque quelquefois des effets dévastateurs au lieu d´être un facteur de progrès. "

Je voudrais voir un peu avec vous les six points sus-mentionnés.
"1. La croyance en un ordre transcendant (ou à un corps de lois naturelles) appelé à régir la société ainsi que la conscience."

Nous bouddhistes, d'emblée, ne croyons pas en un ordre transcendant. Le seul corps de lois naturelles qui existent pour nous, c'est la loi de causalité, qui veut que nos actes ont des conséquences qui deviennent à leur tour des causes et ainsi de suite. Parfois, je le résume un peu crument: si on fout la merde partout, faut pas s'étonner ensuite que ça pue. Ou, comme le dit un dicton occitan: "Quand on s'endort avec le cul qui gratte, on se réveille avec les doigts qui puent". Qu'est-ce qui peut donc régir nos consciences? La simple lucidité par rapport aux deux phrases précédentes.

"2. Un attachement envers la variété luxuriante et le mystère de l´existence humaine et une horreur sacrée envers l´uniformité étriquée, les objectifs égalitaristes et utilitaristes de la plupart des systèmes radicaux."

Voilà une phrase avec laquelle on ne peut être que d'accord. Sortie de son contexte, il est peu de gens qui consentiraient à la contredire. Laissons la donc en l'état et poursuivons.

"3. La conviction qu´une société civilisée exige des ordres et des classes et le rejet de la notion absurde de "société sans classes"."

Nous y voilà! Le chat qui sort du sac. Les mêmes dont nous savons, par expérience, qu'ils seront toujours de mauvais poil en voyant quelqu'un qui n'est pas habillé "comme il faut", nous font l'éloge de la diversité, mais ce n'est que pour nous faire avaler qu'il est normal qu'il y ait des classes sociales!
L'homme est un animal social. L'animal ne connait qu'un seul système d'organisation sociale: "top down", ou le vertical de haut en bas. Chez les rats ou les loups, par exemple, il y a les mâles bêta qui cherchent tous à prendre la place du mâle alpha, et il y existe en permanence un danger pour les animaux en haut de l'échelle de se faire dégommer par un quelconque Iznogoud qui voudrait tant être calife à la place du calife! Il est donc normal que ces comportements existent chez nous.
Mais une des caractéristiques de l'homme, déjà vaguement esquissée chez les primates, c'est la coopération. Autrement dit, une variable horizontale dans un modèle vertical. Le système mutualiste, coopératif, d'entraide mutuelle court-circuite le système de despotisme vertical auquel semblent tant tenir nos amis. Quoique d'une grande fragilité, car il implique de faire coopérer des gens qui ne s'entendent pas néçesairement entre eux, ce système a largement fait la preuve que, lorsqu'il est performant, il peut tenir tête à des systèmes verticaux extrêmement puissants: voir les Grecs contre l'Empire Perse.
Certes l'égalitarisme forcené est aussi une sottise, car il contrevient paradoxalement à l'idée d'égalité. Si nous sommes tous égaux en droits et en devoirs, il est évident que chacun doive contribuer à la hauteur de ses capacités. L'égalité est comme un "starting-block". Tout le monde part du même pied. Vouloir tout organiser en fonction du handicap pour que tout le monde arrive en même temps, c'est aussi dire que le talent, l'ingéniosité, la capacité de travail n'ont aucun intérêt.
Mais se serrer les coudes, entreprendre ensemble parce que cela diminue l'effort de chacun, et partager les fruits de cette collaboration, voilà bien qui caractérise l'humain, et au plan social, les sociétés humaines les plus efficaces. Le principe même de démocratie est basé là-dessus.

4. La certitude que la liberté et la propriété sont étroitement liées, qu´avec l´abolition de la propriété privée, on se retrouverait dans l´antre du Léviathan.

Quelle liberté, et quelle propriété? Le préambule de la déclaration des droits de l'homme dit que la liberté de chacun s'arrête là où commence celle des autres. C'est d'ailleurs le sens de "liberté égalité fraternité". S'il y a liberté sans égalité, il y a plus de liberté pour qui a davantage les moyens d'imposer la dite liberté, et donc, la liberté de ce plus fort empiétera sur celle du plus faible. Si on se contente de ce correctif égalitaire, on se trouve comme ces voisins qui surveillent au micromètre leur clôture et ne pardonneraient pas le moindre empiétement de leur voisin, ce qui rend la vie de tous impossible. La fraternité vient ajouter de la souplesse à ce dispositif. Mais, pour ces conservateurs, la liberté est celle de faire ce qui leur plaît, sans égard à des règles d'égalité et de fraternité qui pourraient les brimer.

Quant à la propriété, c'est pareil: la propriété sous l'ancien régime, était conditionnée par l'utilité commune. En effet, on considérait que la richesse qu'on pouvait acquérir était en partie dûe à la société qui permettait au citoyen de s'enrichir, ce qui impliquait des obligations sociales. Un riche, tout riche qu'il fut, ne pouvait disposer de son bien au préjudice de la communauté. Il ne pouvait laisser se détruire un immeuble, ni détruire des bien meubles par caprice. Ce dont il n'avait plus l'usage, il devait le remettre dans le circuit communautaire. Ce sont en partie ces limitations que la révolution industrielle ainsi que la française ont voulu supprimer.

En somme, cette société impitoyable où le riche peut faire ce qu'il veut, et où le pauvre (le "salaud de pauvre") n'a qu'à s'en prendre à lui-même n'est pas une fatalité. On pourrait même la soupçonner d'être le prélude à la fin d'une civilisation puisque c'est cette détaxation systématique des riches et le report du fardeau de l'impôt sur le pauvres qui a précipité la faillite de l'état byzantin.

Quant aux deux derniers:
"5. La méfiance envers les sophistes, les calculateurs et les économistes qui désirent reconstruire la société sur des conceptions abstraites.
6. La prise de conscience que le changement peut ne pas être salutaire, qu´une innovation ou qu´une réforme précipitée provoque quelquefois des effets dévastateurs au lieu d´être un facteur de progrès. ""

ils me font sourire puisque ce qu'on observe, c'est que nos néo-conservateurs sont parmi les plus dogmatiques calculateurs, sophistes et économistes, à l'heure actuelle, et enragés de réformes dont ils disent à chaque fois que, si elles n'ont pas si bien réussi qu'ils le pensaient, c'est qu'on n'en avait pas assez fait.


Bref, nous qui apprenons que rien ni personne n'existe indépendamment de son contexte, que tout est relié et que rien n'agit sans conséquences sur son environnement, voilà des principes qui doivent nous faire réfléchir: des gens s'acharnent à nous ramener à l'état de jungle, où chacun est un loup pour tous: si nous les laissons dire et faire sans réagir, que nous arrivera-t-il?

lundi 9 avril 2007

Sharmoniser

S’harmoniser, ah, le vilain mot !

Hier encore j’ai entendu quelqu’un me dire qu’il « fallait s’harmoniser ». Oh que cette expression me gonfle !
Il s’agit d’une expression courante dans les groupes bouddhistes, surtout d’inspiration japonaise. En effet, on la retrouve aussi bien au sein de la Soka Gakkai que dans les divers groupes zen. Son sens est essentiellement le suivant : peu importe ce qui se pratique dans le groupe, tu fais pareil. Si le groupe décide de mettre soleil au féminin et lune au masculin, tu t’harmonises. Peu importe qu’en dehors du groupe il en aille autrement, on s’en fout, tu t’harmonises ! Si le groupe te dit que deux et deux font cinq, tu t’harmonises !
Pour quiconque connaît un peu la sociologie orientale, ce genre de délire ne provoquera aucune surprise. Même les anti-conformistes s’y réunissent en groupes d’anti-conformistes, groupes dans lesquels tout le monde fait pareil, évidemment.
Ca me rappelle un dessin que j’avais vu, montrant un troupeau de moutons s’avançant vers une falaise, et, bien entendu, les premiers étant poussés par ceux derrière tombaient inéluctablement dans le ravin. Sauf une brebis, à contre-courant, qui tentait de remonter le flot suicidaire du troupeau, en disant : « Pardon. Excusez-moi ». Sale individualiste qui refuse de s’harmoniser !!!
En fait, ce qui me paraît évident, c’est qu’on se trouve encore une fois face à un malentendu. Je ne vais pas rappeler la nature intimement dictatoriale des divers régimes politiques qui se sont succédés au Japon du XVI° siècle au milieu du XX°. Il me semble qu’il n’est pas besoin d’être trop malin pour deviner que ça ait pu avoir une influence sur les mentalités, surtout quand on voit l’impact que la Grande Dictature Militaire -- qui chevauche la fin du XVIII° et le début du XIX°-- a pu laisser sur les mentalités françaises.
Cette nécessité de s’harmoniser existe. Mais pas à tout prix. Et, surtout, elle ne doit pas être un moyen autoritaire de faire rentrer les moutons noirs dans le rang. Pour qu’elle soit valable, il faut qu’il s’agisse d’une initiative individuelle et intérieure, et qu’elle ne s’apparente pas à une démission ou une compromission.
Mais dans le cadre de l’autoritarisme, il s’agit au contraire du prétexte rêvé pour faire taire tous les empêcheurs de tourner en rond. C’est un appui indéfectible à la rigidité mentale, et l’idéal pour pouvoir éviter de se remettre en question.
A moi, il me semble que l’agir juste de l’Octuple Noble Sentier implique de s’adapter aux circonstances, de modifier les choses en fonction de ce qu’on peut découvrir avec l’expérience. Refuser de modifier un comportement au prétexte que c’est la tradition est formellement déconseillé dans le Sûtra aux Kalamas, où il est dit « Ne croyez pas parce que le moine l’a dit, ou parce que c’est la tradition ». Moi, mon expérience d’artisan m’a permis de voir comment la « tradition » peut se déformer en l’espace de quelques années, voire parfois de quelque mois. Et il faut parfois beaucoup d’observation et d’humilité pour remettre en question ce qu’on croit savoir, parce que cette remise en question implique d’admettre qu’on s’est trompé, ou qu’on a été trompés.

La transmission ne se fait jamais à l’identique. Un maître forme un élève dans la mesure de ses capacités, mais aussi dans la mesure des capacités de l’élève. Chaque être humain est différent de l’autre, et donc la compréhension est toujours fonction de la conformation propre de chacun. Un maître transmet les choses au fur et à mesure d’un programme qu’il s’est donné, mais aussi au gré des circonstances. Certains éléments qui reviennent plus souvent que d’autres sont plus facilement enseignés, et transmis, et compris en fonction des capacités de l’élève. Certaines choses il les comprendra moins bien que d’autres. Certaines, dont l’usage n’est guère fréquent risquent de ne pas bénéficier de la même maîtrise que ceux qu’on pratique tous les jours. C’est ainsi que dans l’artisanat, la simple tradition sans imagination tend à s’appauvrir, par la force des choses.