vendredi 23 février 2007

bouddhas feu

Eric Rommeluère, qui enseigne à Paris dans la même lignée que moi, a publié cet hiver au Seuil un livre superbe, intitulé "Les bouddhas naissent dans le feu", et qui, faute d'une publicité adéquate, (et aussi grâce à des blocages efficaces) est en train de passer inaperçu.

A l'heure où les livres sur le Bouddhisme et le Zen ne se vendent pratiquement plus, à force de redire les mêmes platitudes sans échine, la même soupe sans consistance et les mêmes recettes éculées, il était plus que temps que quelqu'un écrive autre chose: voilà c'est fait, mais si personne ne le lit, est-ce bien la peine?

Précipitez-vous chez votre libraire, pendant qu'il est encore temps!

("Quel foutu dommage que tant de littérature soi-disant bouddhiste paraisse avoir été conçue comme de la musique d’ascenseur spirituelle. Mélange un peu de comptines pour enfants et quelques vieux clichés bouddhistes éculés — ou des citations de Yoda («Laisse la Force couler en toi!») et du personnage de David Carradine dans Kung Fu (« Patience, petit Scarabée! »), au cas où tu ne connaîtrais pas de vrais morceaux bouddhistes — emballe le tout dans un papier-cadeau bien serein avec une image de ronds dans l’eau et — Hé ! Tu fais du Bouddhisme !" -- Extrait de "Hardcore Zen", de Brad Warner).

Zen ou Bouddhisme ?

Je me demandais sur quel thème commencer ce blog, et il m'est venu à l'esprit que certains parlent du Zen comme s'il était autre chose que le Bouddhisme. Je voudrais réagir vigoureusement.

Le Zen n'est que l'une des nombreuses formes du Bouddhisme, aussi appelées "portes du Dharma". Cette séparation a été induite au cours du XX° siècle par certains enseignants que gênait, visiblement l'association des deux. Certains comme Karlfried, comte Dûrkheim, qui ne voulaient pas totalement larguer les amarres d'avec le Christianisme, d'autres comme Yasutani, le fondateur de la Sambo Kyodan, qui voulaient se libérer des contraintes pacifistes inhérentes à la doctrine du Bouddha (Yasutani était un militariste enragé) ou encore, plus près de nous, Taisen La Gendronnière, qui craignait qu'en enfermant son enseignement dans une étiquette "bouddhiste", il pourrait en limiter la portée.

Certes, le problème vient aussi de l'étiquette "Bouddhisme". En effet, elle renvoie naturellement à notre tendance à classer les doctrines dans de petites boites bien étanches les unes aux autres. Je pensais à cela aussi en lisant des nouvelles sur des procès qui ont été intentés en Grèce à une enseignante pour avoir mentionné le Bouddhisme à des enfants (visiblement, la Grèce a encore des progrès à faire en matière de liberté de culte...) Un chrétien ou un musulman auront naturellement tendance à penser en termes de conversion lorsqu'ils se réfèrent à l'enseignement du Bouddha. En effet, on ne peut devenir chrétien qu'en (pour reprendre une ancienne expression) "adorant ce que tu as brûlé et en brûlant ce que tu as adoré". Une adhésion au Christianisme passe nécessairement par un rejet radical des anciennes croyances. Il en va de même avec l'Islam. Reconnaître qu'il n'y a de dieu que dieu et que Mohammed est son prophète implique le rejet radical de toute autre croyance, y compris celle dans la "mère de Dieu", la Sainte Trinité et autres dogmes chrétiens (d'ailleurs pas partagés par tous ceux qui se réclament de cette étiquette. Si on est catholique et qu'on se convertit au protestantisme, ou vice versa, il y a également des dogmes, ces notions auxquelles il faut croire sans poser de questions, qu'il faut adopter ou rejeter.

Cela posé, il devient évident qu'il n'est pas possible de se "convertir" au Bouddhisme. Le Bouddha lui-même, interrogé à ce sujet, recommandait de ne pas croire quelque chose simplement parce que tout le monde le croit, parce que c'est la rumeur, la tradition, ni même parce que "notre maître nous l'a dit". Au contraire, il insiste que nous devons confronter les enseignements que nous recevons à la réalité, car c'est seulement ainsi qu'on pourra vérifier qu'ils sont justes, ou même que nous les avons compris correctement.

Un chrétien, un musulman, un vaudoun, ou n'importe quoi comme religion, pourra profiter des enseignements bouddhiques, sans pour autant devoir renoncer à ses croyances. En ce sens, le débat pour savoir si le Bouddhisme est une religion ou pas est faussé d'avance. Il ne l'est que pour ceux qui ont décidé que cela serait. Sinon, ce n'est qu'une philosophie, une psychologie, voire une technique de relaxation...

Alors, le Zen, bouddhiste ou pas? Il n'est guère besoin de creuser beaucoup pour constater que l'ensemble des textes zen font constamment référence au Bouddha, à ses enseignements et à ceux de ses successeurs. Les enseignants Zen se rangent traditionnellement dans une lignée, mythiquement reliée en droite ligne avec le Bouddha. Je suis moi-même numéro 81 dans une telle lignée. Il devient dès lors assez difficile de prétendre que le Zen n'a rien à voir avec le Bouddhisme, ou, comme je l'ai déjà entendu une fois, "au-delà du Bouddhisme". En ce sens, je ne me reconnais pas comme un au-delà-du-bouddhiste.

Mais les enseignements de Siddhartha Gautama sont tellement terre-à-terre, efficaces et incontournables, qu'il serait bien dommage de s'en priver. Le problème c'est que chaque génération tend à les figer dans une pose, et que, pour être vivants, il faut les extraire de cette pose. C'est ce que tous les maîtres ont tenté de faire depuis 25 siècles, et que, modestement, je voudrais continuer à faire.